La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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21 août 2013

L'amuse-bouche de Bernard Carrère

Le Café du Commerce

« Il y a une sorte de bonheur qui ne dépend ni d’autrui, ni du paysage - fut-il gourmand - c’est celui que j’ai toujours cherché à me procurer » écrit Jean Giono. Homme de la terre, c’est à dire de haute naissance, il ajoutait : « Vivre n’exige pas la possession de tant de choses ! » 

Quelle belle devise que l’on devrait inscrire au fronton des Ministères de tout et de n’importe quoi depuis que nos édiles, condamnés à dévoiler leur pauvreté ou leur richesse, ont relancé sans le vouloir les Brèves de comptoir et la bonne vieille politique à la papa du Café du Commerce qui fit les joies de ma vie d’étudiant. Héritiers des bavardages cordiaux de l’agora et du forum, les cafés sont un lieu de spectacle où la politique se faufile jusque dans les moindres rainures et interstices de l’individu et de la société.
Intermittents des clins d’yeux, des fausses colères et des connivences gauche-droite pour le plaisir d’un mot, les patrons de ces maisons qui ont une âme conjuguent avec talent les verbes voir et écouter. Les années passées sur le zinc leur ont appris la volupté des échanges, la richesse infinie des nuances, des sensations et des idées. La lecture quotidienne des journaux leur a appris à lire entre les lignes. Il y a quelques jours, alors que je prenais mon café à la terrasse d’une auberge de l’arrière-pays, le patron m’accosta pour me montrer un cahier où il collait consciencieusement les articles de journaux qui l’avaient choqué. 

« - Eh ! Monsieur le journaliste, avez-vous remarqué que l’image que la presse donne de certaines personnes est doublement intéressante ? Elle les montre telles qu’elles veulent qu’on les voit : franches et honnêtes, mais aussi et surtout telles qu’elles sont : de véritables planches pourries ! » 

Ayant feuilleté ce cahier, je découvris que la majorité de ces articles concernaient des personnages ayant le goût du mensonge. Œuvres de journalistes de talent ou de plumitifs inconsciemment manipulés, ils n’étaient pas consacrés au maillot jaune de la triche, aux mécomptes suisses d’un ministre déchu, au conte philosophique d’un rabbin désagrégé ou aux lasagnes d’un chevaleresque escroc mais uniquement à des professionnels de la restauration. L’un vantait l’adresse improbable d’un couple de ratés imbus de leur personne, l’autre un établissement les pieds dans l’eau dont la cuisine a fait définitivement naufrage, un autre faisait l’éloge d’un serveur expert en coulage organisé, le suivant d’une bimbo poitrinaire et culinaire et un dernier d’un chef ancien de l’adresse d’un grand chef qui ne l’a pas gardé... Illustrés de photos montrant l’air satisfait de personnages confiant en leur étoile, ces articles dépassés témoignaient de l’infidélité d’une étoile : elle brille quelque temps, puis elle clignote et très vite s’éteint. 

« - Tous ces aimables confrères, commenta mon aubergiste, sont de vulgaires traîtres ayant prospéré grâce aux faveurs de gens dont ils se sont servis au lieu de les servir. Diplômés de titres ronflants qu’ils se sont attribués, ils se prétendent sans vergogne créateurs d’événements dont ils ne sont que de pâles faussaires. Dans notre métier, comme dans la vie, rien n’est plus exécrable que le manque de loyauté. Notre métier repose sur la loyauté : loyauté à l’égard des producteurs, des fournisseurs, du personnel et des clients. Être loyal, c’est un trait de caractère, une passion, une vocation. Certains les ont, d’autres ne les auront jamais. Un café, journaliste ? »

- Non merci, un verre de fiel pour ces tricheurs !


Bernard Carrère