La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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07 mars 2013

Mon jambon, c’est pas du cochon : c’est du patrimoine !

Les histoires d’amour finissent mal (en général), mais celle-ci - l’histoire d’un porc noir amoureux de son terroir - ne devrait jamais se terminer : laissez-moi vous la raconter…


Il était une fois un gros cochon Noir qui s’appelait Gascon. Il s’ébattait gaiement - depuis la nuit des temps - dans les environs de Tarbes et de Lourdes, au cœur de sa Bigorre natale. On le disait Méditerranéen, comme ses cousins corses ou ibériques, et son arbre généalogique remontait jusque Babylone, ce qui n’est pas rien. Il vivait en famille (les puristes disent "en troupeau", mais les puristes manquent souvent d’imagination) et se nourrissait exclusivement de glands et de châtaignes. Il broutait (oui, Madame, un porc, ça broute !) les vertes prairies trop pentues pour accueillir cultures ou bovins, et donnait volontiers une viande persillée (une viande rouge, particulièrement goûteuse quand on la déguste rosée), et un jambon miraculeux, dont il était si agréable de se découper entre amis une bonne tranche. 
Un jour, des porcs blancs arrivèrent : chargés par la société consumériste d’améliorer la productivité, ils transformèrent les élevages extensifs en élevages intensifs. Il fallait produire plus vite pour améliorer les rendements et faire baisser les prix : ajoutez à cela l’exode rural, la réduction des parcelles pour cause d’héritage ou de partage, et le gros Gascon se mit à décliner, comme les autres races autochtones, Pie Noir (du Pays Basque) ou Cul Noir (de Saint-Yrieix, dit du Limousin), aujourd’hui protégées…
Les nouvelles races anglaises, Large White et Landrace, atteignent 100 kg en 160 jours, il en faut le double, voire le triple, au Noir de Bigorre : le bougre prend son temps ! 
Du coup, des 28 000 truies recensées en 1930, il ne reste pas grand-chose au début des années 80 : 34 ont survécu, entretenues par deux mâles reproducteurs, grâce à quelques paysans qui, par habitude, par tradition, ont sauvé la race. 

Il faut reconnaître que ce porc gascon présente de sérieux avantages, dans une société rurale qui - il n’y a pas si longtemps - vivait encore en autarcie : il fait du bon gras dont on peut se servir en cuisine (40 à 50 mm d’épaisseur, quand un porc industriel arrive péniblement à 4 mm), il vit dehors, il se nourrit seul de ce que produit son milieu, ce qui est bien appréciable, et les vents de la région - le vent d’autan qui rend fou celui qui l’écoute - sèche sa viande qu’il n’est même pas nécessaire de fumer. Ce sacré cochon ne s’arrête pas là : en plus de produire des terrines et des saucissons à se pâmer, il rentabilise les terres sur lesquelles on l’exploite (que deviendront-elles, s’il disparaît des prairies pour être cloisonné - le mot est faible - dans des unités de production industrielle ?).
Le Gascon a eu de la chance ! Quelques allumés sont passés par là, qui se sont jurés de créer une filière pour écouler jambons et viande fraîche : ils sont aujourd’hui nombreux 
-  éleveurs, salaisonniers, charcutiers, cuisiniers - à vivre heureux dans les Hautes-Pyrénées et dans les cantons limitrophes de l’Astarac (Gers) et des Comminges (Haute-Garonne) où s’ébattent des porcs noirs (les 57 éleveurs ont prévu d’abattre 7 500 porcs en 2013 : une plus grande quantité risquerait d’en compromettre la qualité…).
La croissance du porc Noir est lente (450 grammes par jour, contre 800 pour un porc industriel bourré d’antibiotiques) : il profite pendant quatorze mois (en moyenne) d’une alimentation saine, ses six derniers mois (au moins) se passent en parcours libre, d’herbe (il va en avaler cinq cents kilos !) et de sous-bois (pour éviter le stress et garantir l’exercice physique, le cahier des charges n’accepte pas plus de 25 porcs à l’hectare).
On attend pour bientôt deux AOP (appellation d’origine protégée), une pour le porc, l’autre pour le jambon : cet Astérix de Bigorre - qui résiste encore et toujours - les mérite largement !
En plus, je vais vous dire : il est sympa, ce porc ! Sobre, marcheur, rustique, curieux, joueur (oui, Madame, joueur !), il a la convivialité dans les gênes. Si vous voulez lui faire plaisir, amenez-lui du trèfle, il en raffole ! Et si vous voulez vous faire plaisir, préparez-vous une épaisse côte à la cocotte, dorée dans son gras, ou dans celui d’un peu de ventrêche (à déguster à l’apéro avec du pain). 
Bon appétit !

Texte et photos : Pierre Brice Lebrun pour La Gazette Gourmande

1 commentaire:

  1. Et ben mon cochon!!!!!!! la belle côte bien épaisse à la cocotte.... je salive....Merci, un très beau billet sur ce porc noir.

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