La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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19 mars 2013

En vers et avec eux… car ils ravissent nos sens.


Un jour un paysan, du doux nom de Martin, 
Me fit ce sombre aveu en préparant le grain.

- « Vois-tu, homme de la ville, ce qui me rend bien triste,
C'est que vous les urbains, oubliez qu'on existe.
Nous travaillons pour vous du matin jusqu'au soir,
Pour que vous puissiez tous bien manger et bien boire.
Je ne réclame rien, ni argent ni pitié,
Mais que l'on parle enfin de nos nobles métiers.
Les producteurs sérieux sont des gens réservés,
Qui éprouvent en public quelques difficultés.
Certains ont la parole plus facile que d'autres,
Et savent négocier leur farine d'épeautre.
Mon père était meunier, il créa ce moulin,
Pour vendre aux villageois la farine et le pain,
Et m'offrit en cadeau son précieux savoir-faire,
Et m'apprit notamment à respecter ma terre.
La technique est utile mais le plus important,
Quand on fait ce métier : le respect du client !
Il faut de la passion, beaucoup de sacrifices,
Pour être producteurs et faire "un" bénéfice.
Pour annoncer cela, prends ta plus belle plume,
Raconte nos histoires, traditions et coutumes.
» 

C'est promis cher Martin, j'écrirai une fable, 
Sur votre dur labeur pour enrichir nos tables. 
Je suivis mon chemin à la rencontre d'hommes,
Et de femmes artisans voués aux gastronomes.
à travers les montagnes, un vent chaud me guida,
De sa brise paisible, c'est l'Haize Hegoa. 
Cet air venu d'Espagne souffle sur nos jambons,
Les sèche pour leur donner des arômes profonds. 
Ainsi quand vous tranchez, s'exhalent comme un fumet,
Tous les charmants parfums du vent de la vallée. 
Pendus aux vieilles poutres, les jambons sont bercés, 
Durant quatre saisons au gré du temps qu'il fait.

- « Goûtez ces salaisons, viandes fraîches et pâtés,
C'est de notre pays que vous dégusterez.
»

C'est ainsi que m'accueille le fier propriétaire,
De cette charcuterie au passé légendaire.
Et me fait visiter des cuisines au séchoir,
Dans lequel nous restons : il y a tant à voir ! 
Et à sentir aussi puisque dans un tel lieu, 
Ce que l'on hume d'abord, c'est le souffle de Dieu. 

- « Vous aimez le jambon ? », demande t-il alors. 
- « J'aime tout ce qui vient de la truie et du porc. » 
- « Ainsi vous goûterez avec délectation,
Cette tranche, joyau de notre production.
»

Je m'exécute sans peur à tester cette part,
Et savoure ce moment car il est bien trop rare.
Les mots soudain me manquent pour exprimer mon heur,
Mais ma béatitude suffit au producteur.

- « Vous savez cher ami, » poursuit le charcutier,
« Les doses de passion et d'amour du métier,
Qu'il faut pour que les tranches que nous faisons goûter,
Procurent à nos clients tant de félicité.
Chaque porc est choisi très rigoureusement,
Auprès de nos éleveurs dont je loue le talent.
»

C'est tout à votre honneur de vanter le travail,
De ceux qui vous fournissent le meilleur du bétail.
La route que je prends m'emmène maintenant, 
Près de la fraîche Nive pour voir des ruminants.
C'est une belle ferme que je découvre ici,
Entourée de prairies où paissent les brebis.
Le troupeau est tranquille et profite de l'herbe,
Je m'arrête un moment tant la vue est superbe.
Quand de la bergerie s'extirpe, toute heureuse,
La maîtresse des lieux à l'allure vigoureuse.

- « Ah, vous voilà enfin ! » clame t-elle haut et fort.
« Vous allez bien m'aider à rentrer ces retors ! »

A présent étant là, je vais participer,
Ce ne sont pas ces bêtes qui vont m'apprivoiser…
Malgré la volonté et l'envie de bien faire,
Je n'ai pu qu'assister l'entrée des mammifères.
Les brebis égarées étant enfin dedans,
Je me mis à compter, il y en avait deux cents.

- « Jamais vous n'en perdez ? » osais-je demander.
- « Quelle question cher monsieur, hé… pas un habitué.
Les brebis, vous savez sont des bêtes dociles,
Et de veillez sur elle est une chose facile.
Quand on sait bien s'y prendre elles sont obéissantes,
Et si une est coriace, on la met à la vente.
Je plaisante bien sûr, vous n'allez pas me croire…
Mes bêtes, je les aime, elles sont mon faire-valoir.
Pour un très bon fromage il faut un très bon lait,
Si je les détestais elles le ressentiraient.
»

J'observe tous les gestes de cette gaie fermière.
Un peu de foin devant, un peu de paille derrière.
Les brebis sont tranquilles, et nous quittons l'endroit,
Pour entrer dans la cave. Il y fait un peu froid. 
Mais la vue des fromages me réchauffe le cœur,
Et j'exprime d'un "Wouah" cet instant de bonheur.
Le parfum d'une cave est un enchantement,
On y sent clairement tout le travail du temps ;
Les tommes les plus jeunes verdissent de moisissures,
Tandis que les anciennes ont la croûte bien dure.
Je quitte à grand regret ce temple du fromage,
Et salue cette dame de mon plus bel hommage.

Comment rendre à ces gens le bonheur qu'ils procurent,
Travaillant sans compter, respectant la nature,
Garnissant nos assiettes et remplissant nos verres,
Des produits de la terre et de leur savoir-faire. 
Sachons les écouter pour mieux les découvrir.
Comprendre leur métier, ça peut faire réfléchir.
Ils luttent tous les jours contre leur ennemi,
Qui à la qualité oppose les bas prix.



Moralité :
Si, 
"Qui veut voyager loin ménage sa monture…"
Qui veut se nourrir bien défend l'agriculture,
Celle de l'artisan, du petit producteur,
Qui pensent moins à l'argent, et plus à nos bonheurs.

07 mars 2013

Mon jambon, c’est pas du cochon : c’est du patrimoine !

Les histoires d’amour finissent mal (en général), mais celle-ci - l’histoire d’un porc noir amoureux de son terroir - ne devrait jamais se terminer : laissez-moi vous la raconter…


Il était une fois un gros cochon Noir qui s’appelait Gascon. Il s’ébattait gaiement - depuis la nuit des temps - dans les environs de Tarbes et de Lourdes, au cœur de sa Bigorre natale. On le disait Méditerranéen, comme ses cousins corses ou ibériques, et son arbre généalogique remontait jusque Babylone, ce qui n’est pas rien. Il vivait en famille (les puristes disent "en troupeau", mais les puristes manquent souvent d’imagination) et se nourrissait exclusivement de glands et de châtaignes. Il broutait (oui, Madame, un porc, ça broute !) les vertes prairies trop pentues pour accueillir cultures ou bovins, et donnait volontiers une viande persillée (une viande rouge, particulièrement goûteuse quand on la déguste rosée), et un jambon miraculeux, dont il était si agréable de se découper entre amis une bonne tranche. 
Un jour, des porcs blancs arrivèrent : chargés par la société consumériste d’améliorer la productivité, ils transformèrent les élevages extensifs en élevages intensifs. Il fallait produire plus vite pour améliorer les rendements et faire baisser les prix : ajoutez à cela l’exode rural, la réduction des parcelles pour cause d’héritage ou de partage, et le gros Gascon se mit à décliner, comme les autres races autochtones, Pie Noir (du Pays Basque) ou Cul Noir (de Saint-Yrieix, dit du Limousin), aujourd’hui protégées…
Les nouvelles races anglaises, Large White et Landrace, atteignent 100 kg en 160 jours, il en faut le double, voire le triple, au Noir de Bigorre : le bougre prend son temps ! 
Du coup, des 28 000 truies recensées en 1930, il ne reste pas grand-chose au début des années 80 : 34 ont survécu, entretenues par deux mâles reproducteurs, grâce à quelques paysans qui, par habitude, par tradition, ont sauvé la race. 

Il faut reconnaître que ce porc gascon présente de sérieux avantages, dans une société rurale qui - il n’y a pas si longtemps - vivait encore en autarcie : il fait du bon gras dont on peut se servir en cuisine (40 à 50 mm d’épaisseur, quand un porc industriel arrive péniblement à 4 mm), il vit dehors, il se nourrit seul de ce que produit son milieu, ce qui est bien appréciable, et les vents de la région - le vent d’autan qui rend fou celui qui l’écoute - sèche sa viande qu’il n’est même pas nécessaire de fumer. Ce sacré cochon ne s’arrête pas là : en plus de produire des terrines et des saucissons à se pâmer, il rentabilise les terres sur lesquelles on l’exploite (que deviendront-elles, s’il disparaît des prairies pour être cloisonné - le mot est faible - dans des unités de production industrielle ?).
Le Gascon a eu de la chance ! Quelques allumés sont passés par là, qui se sont jurés de créer une filière pour écouler jambons et viande fraîche : ils sont aujourd’hui nombreux 
-  éleveurs, salaisonniers, charcutiers, cuisiniers - à vivre heureux dans les Hautes-Pyrénées et dans les cantons limitrophes de l’Astarac (Gers) et des Comminges (Haute-Garonne) où s’ébattent des porcs noirs (les 57 éleveurs ont prévu d’abattre 7 500 porcs en 2013 : une plus grande quantité risquerait d’en compromettre la qualité…).
La croissance du porc Noir est lente (450 grammes par jour, contre 800 pour un porc industriel bourré d’antibiotiques) : il profite pendant quatorze mois (en moyenne) d’une alimentation saine, ses six derniers mois (au moins) se passent en parcours libre, d’herbe (il va en avaler cinq cents kilos !) et de sous-bois (pour éviter le stress et garantir l’exercice physique, le cahier des charges n’accepte pas plus de 25 porcs à l’hectare).
On attend pour bientôt deux AOP (appellation d’origine protégée), une pour le porc, l’autre pour le jambon : cet Astérix de Bigorre - qui résiste encore et toujours - les mérite largement !
En plus, je vais vous dire : il est sympa, ce porc ! Sobre, marcheur, rustique, curieux, joueur (oui, Madame, joueur !), il a la convivialité dans les gênes. Si vous voulez lui faire plaisir, amenez-lui du trèfle, il en raffole ! Et si vous voulez vous faire plaisir, préparez-vous une épaisse côte à la cocotte, dorée dans son gras, ou dans celui d’un peu de ventrêche (à déguster à l’apéro avec du pain). 
Bon appétit !

Texte et photos : Pierre Brice Lebrun pour La Gazette Gourmande

06 mars 2013

La Gazette Gourmande #26 arrive !


Et que va t-on y trouver dedans ?

L'édito de Bernard Carrère, brillant comme d'habitude, quelques actualités, une recette de canard par Lionel Elissalde de Chez Martin, des explications sur les noms des bouteilles de vins, un retour sur la journée dégustation de Pessac Léognan en photos, la sélection de nos cavistes, une recette danoise, une virée à La Bastide Clairence pour découvrir une bien belle épicerie, une réunion de chefs, un périple à Bussunarits pour rencontrer Jon Harlouchet et son Grand Roux Basque, la cochonnerie de Sébastien Zozaya (rien d'incorrect je vous rassure), un beau portrait du cuisinier Lucien et un touchant poème sur le pain.

Alors bonne lecture et régalez-vous !