La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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02 janvier 2013

Le Pie Noir qui enchante

© Philippe Deschamps

Kintoa, trois syllabes comme autant de vallées qui composent son territoire. Kintoa, une consonne qui tranche en préambule mais une fin en deux voyelles que l’on chante interminablement. Kintoa enfin, comme la promesse du goût d’un pays basque vif et délicat à la fois.

Au début des années 80, une dizaine d’éleveurs entoure Pierre Oteiza, salaisonnier de la vallée des Aldudes, pour sauvegarder le porc de race basque, aussi appelé Pie Noir ou Euskal Xerria en basque. Un travail commun a permis, à partir des 25 dernières femelles recensées en 1982, d’obtenir aujourd’hui 350 truies donnant naissance à 2 000 porcelets par an. Ce sont maintenant plus de 70 éleveurs qui composent l’association Filière Porc Basque, présidée par Michel Oçafrain, ayant pour objectif de pérenniser cette race locale dans le respect de la tradition. Pour cela un cahier des charges précis a été mis en place : tous les reproducteurs doivent travailler la race pure, l’engraissement doit être fait en liberté à l’extérieur, le nombre de porcs par lot et par hectare est limité à 40, aucun OGM n’est autorisé dans l’alimentation, le vide sanitaire doit être effectué sur chaque parcelle pendant quatre mois après chaque lot, les porcs sont abattus entre 12 et 24 mois à un poids minimum de 130 kg, enfin - et ce n’est pas le moins important - l’épaisseur de lard dorsal doit être au moins de 25 mm. 
Ce gras obtenu par la générosité des ressources alimentaires que le cochon peut trouver au gré de ses promenades sur les flancs des montagnes pyrénéennes entre la vallée des Aldudes, du Baztan et d’Erro, le territoire de Kintoa, ou pays de Quint en français. Pendant plus d’un an, les animaux vont s’engraisser en mangeant de l’herbe, des racines, des glands, des châtaignes… mais aussi des céréales en complément afin de parfaire leur alimentation. Ce sont tous ces éléments ; la race, l’élevage en liberté, une alimentation pure et un abattage tardif qui concourent à la qualité de la viande de porc basque. 

Une viande tendre, mature, d’un rouge vif et finement persillée que l’on peut trouver désormais en charcuterie - en frais - préparé par Cédric Bergez et son équipe. Cet ancien deuxième ligne de l’Aviron Bayonnais est revenu aux sources en reprenant il y a trois ans les rênes de la charcuterie Aubard créée par son grand-père en 1946 à Bayonne. « Mon grand-père était grossiste en charcuterie sur les bords de l’Adour, mais à l’arrivée de la grande distribution, il a préféré le contact direct avec les clients, et a ouvert une charcuterie au début des années 60 » précise-t-il. C’est toujours dans ces même murs que sont désossés, aujourd’hui, les porcs basques venus directement de l’abattoir de St Jean Pied de Port. « C’est Pierre Oteiza qui m’a demandé, avec insistance, de faire du Kintoa en frais. Lui, fabrique jambons et salaisons et moi, pour l’instant, je suis le seul à proposer de l’échine, des côtes, du rôti, de la saucisse et de la ventrêche ». Un travail nouveau pour lui et ses trois charcutiers « Le porc basque a une morphologie sensiblement différente du cochon de race classique que l’on travaille habituellement. Il y a eu un temps d’adaptation pour le désossage, mais c’est un réel plaisir de découper cette viande d’une tendreté exceptionnelle ». A la cuisson, la ventrêche et l’échine dégagent des arômes de noisettes et le gras reste ferme. Cédric Bergez conseille de servir la viande rosée et nature - peut-être un peu de piment d’Espelette - pour bien l’apprécier. Il ajoute « J’aime avoir ce contact avec les clients. Ils nous disent quand ils ont aimé et aussi quand ils aiment moins. Ils nous apportent des idées, c’est constructif ». C’est aussi cela le respect des clients, un échange entre le spécialiste et le gourmand. Une relation privilégiée qui permet à l’amateur d’être bien conseillé et servi, et au professionnel de partager ses connaissances et de recevoir de la reconnaissance.

© Philippe Deschamps
Une reconnaissance que la Filière Porc Basque aimerait acquérir en obtenant une AOC pour les produits d’appellation Kintoa. Depuis 2001, ils mettent tout en œuvre pour que la viande de porc basque soit reconnue, ainsi que le savoir-faire des éleveurs. Une AOC qui permettrait de valoriser le métier de ces hommes et de protéger cette race pure en l’associant officiellement à son territoire d’origine. Ils le méritent. Amplement.

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