La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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27 novembre 2012

La corde ou la poudre ?



Si le mot piment a de quoi effrayer au premier abord, il suffit de lui ajouter le nom du village d’Espelette pour le rendre plus désirable. En effet, l’éminent pharmacologue Wilbur Scoville a inventé au début du XXème siècle une échelle portant son nom afin de renseigner sur la teneur en capsaïcine - un irritant qui produit des sensations de brûlure dans la bouche - des différents piments de notre planète. Dans ce classement, le moins bon élève est le poivron avec la note de zéro unité Scoville, devancé de peu par le paprika doux qui obtient entre 100 et 500 unités. Le premier prix revient depuis février 2012 au piment Trinidad Moruga Scorpion qui totalise pas moins de 2 009 231 unités Scoville. Un chiffre qui fait froid dans le dos et chaud dans la bouche ! Mais un chiffre qui ne nous parle pas beaucoup sauf quand on nous explique qu’il faudrait diluer autant de fois l’extrait du piment pour que la sensation de brûlure disparaisse…

Notre piment d’Espelette, lui, se situe aux alentours des 2 000 unités, ce qui le rend plus parfumé et agréable que fort et brûlant. Il suffit de le voir pousser dans les villages de la zone AOP : Souraïde, Larressore, Aïnhoa, Ustaritz, Itxassou, Halsou, Jatxou, Cambo-les-Bains, Saint-Pée-sur-Nivelle et bien sûr Espelette. Toute autre provenance serait une tromperie avérée. Sa fleur tout d’abord, d’une blancheur éclatante s’ouvre au soleil dès les premiers beaux jours. Puis, le piment lui-même ; vert et hésitant dans sa jeunesse, il devient rouge flamboyant à maturité comme pour affirmer sa force et dire « Voyez, je suis prêt, cueillez-moi ! ». C’est tout un art "d’élever" du Piment d’Espelette. Bien choisir les semences, pratiquer un repiquage minutieux quelques jours après les semis. Planter en plein champ entre mai et juin. Faire face aux maladies et enfin récolter. Cette dernière opération entièrement réalisée à la main des premiers jours d’août au 1er décembre est échelonnée. Un pied donne environ vingt piments par saison.

Pierre Ustaritz fait partie des producteurs affiliés au Syndicat du Piment d’Espelette - le seul organisme reconnu par l’INAO - et se soumet aux règles d’un Cahier des Charges strict et précis. Ancien charcutier à Biarritz, il cultive avec sa fille Stéphanie, sa femme et ses employés sur les hauteurs d’Ustaritz environ 34 000 pieds. Dès les premières récoltes, les piments sont séchés sur des clayettes pendant quinze jours minimum. Déjà les arômes s’échappent du fruit par sa fine peau qui flétrit et prend une teinte rouge sang comme les volets des maisons voisines. L’équeutage, qui consiste à ôter le pédoncule et la collerette, est ensuite pratiqué soigneusement, et avec des gants. « Je ne vous conseille pas de vous gratter l’œil pendant l’équeutage. Sinon vous riquez de vous en souvenir » prévient Pierre en souriant. Le passage au four prend trois jours avec une augmentation progressive de la chaleur pour atteindre 65° durant les dernières heures. Les piments sont alors moulus et conditionnés sous-vide dans des poches de 1kg. La production est achevée, il faut attendre maintenant les prélèvements des contrôleurs  pour valider, ou non, le lot. Lorsque le poinçon est apposé, la poudre est présentée devant un jury - tous les jeudis - pour obtenir une homologation officielle. Sans cet accord, la vente n’est pas possible. La mouture de la poudre ne doit pas dépasser 5 mm d’épaisseur et ne pas présenter de défaut de cuisson (grillé excessif, amertume prononcée). 

Ces certifications concourent au respect et à la qualité du piment d’Espelette AOP. C’est ainsi que l’on peut relever, agrémenter ou assaisonner nos plats de poudre, de gelée ou de confiture, mais aussi décorer nos cuisines de cordes de Piments d'Espelette sans craindre la contrefaçon. Une dernière chose : si un jour, vous voyez sur un marché du Piment d’Espelette en vrac à l’air libre, passez votre chemin, c’est du faux.