La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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19 septembre 2012

L'Adour de la pêche


L'embouchure de l’Adour n’est pas un lieu banal ! Certes il manque peut-être de charme quand on se trouve sur l’une ou l’autre rive, mais il se révèle merveilleux, lorsque l’on est sur l’eau. Plusieurs sensations se mêlent quand, tournant le dos à Bayonne, on regarde vers l'océan. La première est d’apprécier la terre depuis les flots ; cela vous rend modeste. Vous êtes là, au niveau de la mer. Altitude zéro. Tout ce qui vous dépasse impressionne, un bateau, un phare, une vague, deux vagues, trois vagues… 

Et des vagues, il n’en manque pas à cet endroit-là ! Puis, vous vous sentez attiré par le large, l’aventure, le défi. La marée descendante vous invite gentiment à découvrir plus loin des territoires inconnus. Même si le golfe de Gascogne et l’embouchure de l’Adour, en particulier, ne cachent plus beaucoup de zones inexplorées. Mais qu’importe, votre ardeur est décuplée par les senteurs iodées des embruns qui vous délavent le visage. C’est parti ! Le lointain se rapproche… L’air est plus vif. L’incertaine houle, que l’on imaginait quelques minutes auparavant, se fait plus précise et dévoile ses rondeurs grondantes et agressives. L’enthousiasme s’estompe au fur et à mesure que les ondulations s’amplifient. Racine disait dans Polyeucte, - non sans malice d'ailleurs - que « le désir s’accroît quand l’effet se recule », et bien là, c’est l’inverse ; le désir, lui, recule lorsque l’effet s’accroît ! Mais que le spectacle est beau ! Pris entre deux feux d’eaux, vous bénissez la nature de vous offrir si belle poésie. Et vous bénissez aussi l’homme qui est à vos côtés sur le bateau et à qui vous avez entièrement remis votre destinée. Un pêcheur, un marin, un homme de la mer. 

Cette envolée océano-lyrique n’a pour dessein que de placer une auréole sur la tête de ces hommes qui affrontent quotidiennement les caprices de la mer et du climat pour pêcher ce que la nature veut bien leur proposer.


Parmi ces valeureux professionnels, voici Olivier Azarete. A trente ans seulement, ce jeune marin est un personnage influent et respecté dans le métier au Pays Basque. Depuis plus de quinze ans, ce luzien d’origine a beaucoup appris sur les différentes règles et techniques de la pêche. Avec le père d’un ami quand il était adolescent, puis au Lycée Maritime de Ciboure-Socoa avant d’embarquer pour ferrer le merlu à la palangre. Sérieux, combatif et fier de son labeur, Olivier est aujourd’hui aux commandes de son propre bateau - Legatz Berria - et le responsable syndical des pêcheurs de l’Adour. En fonction des saisons, on le trouve à l’embouchure pour attraper quelques saumons, un peu plus en amont pour la lamproie et encore plus haut pour tenter de saisir les succulentes civelles. S’il est osé de dire que la profession de pêcheur est un sacerdoce on peut affirmer sans emphase que ces hommes sont totalement dévoués à leur passion. Leur courage et leur humilité donnent encore plus de valeur à leurs prises. 

Que celui qui n'a jamais pêché…pense bien à eux, lorsqu'il sera confortablement attablé, et, lisant le menu, fera tanguer son choix entre saumon et lamproie.

14 septembre 2012

Voilà la Gazette Gourmande #24



Elle est là, pleine de fraicheur et prête à affronter les premiers frimas de l'automne.
Son cartable n'est pas "bourré de coups de poing", comme dirait le grand Nougaro, 
mais de bons produits et de recettes savoureuses.

Tout d'abord une visite dans la famille Ustaritz, producteurs de Piment d'Espelette à… Ustaritz. 
Puis un  yaourt d'artichaut au txangurro de crabe préparé par Gary Duhr du Clos Basque à Biarritz. 
Quelques idées ensuite pour profiter des derniers rayons de soleil sur les terrasses du pays basque. 
Une association golf et dégustation dans les Grands Crus de Sauternes, des explications lumineuses sur la méthode champenoise. Une invitation à voyager à Lille pour apprécier les moules à la bière. 
On revient ensuite dans nos montagnes pour découvrir le porc Kintoa, le fromage Ossau-Iraty "Champion du Monde" et une adresse authentique, Urtxola à Sare. 
Pour finir, une rencontre avec le peintre Cheche, amoureux des bonnes assiettes et vaillant cuisinier. Le livre sélectionné nous emmènera à Irun et Hondarribia pour profiter des douceurs locales. Paul Valéry nous contera ses "Grenades" et nous prendrons rendez-vous avec le spectacle "culino-poétique" de cette fin d'année, Cuisine & Poésie.

Nouez votre serviette, chaussez vos lunettes et bonne dégustation !

11 septembre 2012

Des greens et des verres pour les Grands Crus de Sauternes

Les vendanges se préparent dans les Grands Crus Classés de Sauternes et de Barsac 1855. 
Pourtant, l'espace d'un week-end, 11 des plus beaux châteaux de l'appellation se sont transformés en un parcours de golf éphémère.

Green devant le théâtre à l'italienne au Château de Malle
Le jardin du Château de Malle
La cour du Château Filhot
Golfeurs amateurs et goûteurs éclairés ont pu croisés les fers et les verres en visitant quelques joyaux de la campagne du Sauternais : Château de Malle, Château de Myrat, Château Broustet, Château d'Arche, Château La Tour Blanche, Château Doisy-Védrines, Château Suduiraut, Château Climens, Château Filhot, Château Guiraud et le prestigieux Château d'Yquem, qui accueillait le dîner de gala offert aux participants.


Déjeuner au Château Guiraud
Dégustation dans les vignes du Château d'Arche
Le soleil se couche sur le Château d'Yquem
Une belle idée quand on sait tous les trésors que contiennent ces demeures. 
Des architectures et des jardins somptueux, des chais ensorcelants par leurs senteurs, des vins intenses aux couleurs magnifiques.

Si le paradis existe, il doit ressembler au parc du Château d'Yquem…
…ou à son chai à barriques.
Plus qu'une compétition de golf, ce week-end Golf & Grands Crus a permis aux producteurs de montrer leur savoir-faire et aux participants de (re)découvrir une appellation prestigieuse mais qui a su garder une authenticité bien ancrée dans cette terre que les vignerons manient avec amour et respect.

Le jardin du Château Suduiraut
Quelques trésors du Château Climens
L'édition 2012 était la première, mais parions que c'est le commencement d'une très belle et très longue série. 

Le rendez-vous pour l'année prochaine est déjà pris !






10 septembre 2012

De la vie des tonneaux...


Je n'aurais jamais cru que tu puisses m'aimer, disait un vieux tonneau, au point de t'installer dans mon ventre bien chaud !  
Je n'aurais jamais cru devenir un supplice à celles qui furent punies de n'avoir pas aimé, disait un grand tonneau qu'elles ne remplirent jamais. 
Je n'aurais jamais cru que le dieu Jupiter pût se servir de moi comme d'un objet banal. Je n'aurais jamais cru que ce Jupiter-là me nomme moi le bien, et mon jumeau le mal. 

Diogène - Jean-Léon Gérôme © Walters Art Museum Baltimore
Que ce soit celui* du marginal Diogène, celui des Danaïdes ou  bien de Jupiter, le tonneau, depuis l'antiquité nous accompagne, mais il est bien dommage que les petits fûts de vin, ces charmants tonnelets pour particuliers aient disparu (bien qu'ils soient encore fabriqués) au profit d'autres en plastique et carton, si pratiques soient-ils. 
Quand j'étais adolescent, il y a quelques décennies, je mettais en bouteille des vins aux noms mystérieux et chantants : Passetougrain, Fixin, blanc Aligoté, Chassagne…  tous enfants de  la Bourgogne, que mon père recevait, pour ses clients particuliers, dans des petits tonneaux d'environ 33 litres. Quel plaisir inoubliable que de retirer le gros bouchon de liège et de humer ces parfums de vin et de bois ! Quelle ivresse aussi nous emportait, mon frère aîné et moi, sans que nous n'ayons bu la moindre goutte ! 
Le plaisir des yeux. Et du nez, sans doute…


Diogène - John-William Waterhouse  © Galerie d'Art de Nouvelle-Galles du Sud Sydney

Rappel historique…

Diogène (né à Sinope vers 413 et mort à Corinthe vers 327 av. JC), aussi appelé Diogène le Cynique, est un philosophe grec, et le plus célèbre représentant de l'école cynique créée par Antisthène vers 390 avant JC. Selon Sénèque,  philosophe romain, qui naquit quatre siècles plus tard, Diogène était vêtu d'un manteau grossier, allant pieds nus, dormant dans un pithos, c'est-à-dire une jarre de grande taille, ne possédant rien d'autre et ne subsistant que grâce aux contributions de ses auditeurs et mécènes. 



… et mythologique

Les 2 tonneaux de Jupiter
« Jupiter autrefois, comme on me l'a fait croire, avait ces deux bondons  (ndlr : bondes)  toujours à ses côtés ; de là venaient nos biens et nos calamités » extrait des Deux tonneaux de Voltaire.
Rappelons d'abord que Jupiter est l'équivalent romain de Zeus le roi des dieux grecs. Ils ont la même généalogie : fils de Saturne et de Rhéa. Elle même fille d'Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre). Passons sur les détails des enfants dévorés par leur père et les pères occis par leurs enfants, et revenons à nos tonneaux. Jupiter, en tant que dieu suprême, avait à sa disposition deux tonneaux, identiques en apparence mais différents de par leur contenu. L'un regorgeait de bien, l'autre de mal. Ainsi, et pour des raisons qui nous sont obscures, selon son humeur ou son idée de la justice, Jupiter distribuait sur terre, et aux hommes, le bien ou le mal ! Dans une lettre au Roi de Prusse datant du 11 octobre 1872, d'Alembert écrit « votre Majesté a bien raison de dire que le mauvais tonneau de Jupiter, celui qui verse les maux sur les hommes, est bien plus grand et plus plein que celui qui verse les biens ». Les hommes, et les distributeurs de bien et de mal ont-ils vraiment changé ? 


Le tonneau des Danaïdes
Les Danaïdes sont les cinquante filles du roi Danaos, qui durent épouser les cinquante fils du roi Egyptos, qui n'était autre que le frère jumeau de Danaos. Après la brouille entre Egyptos et Danaos, ce dernier obligea ses filles à égorger leurs époux le soir même de leurs noces. Eschyle avance que c'était l'idée première de Egyptos, qui voulait faire assassiner les filles de Danoas par ses garçons. C'est l'inverse qui fut fait ! Sauf par l'une d'entre elles. Funeste décision de l'amour, puisque plus tard, le seul rescapé vengea ses frères en tuant toutes les sœurs de celle qui l'avait gracié. Arrivées aux enfers, les filles assassines furent condamnées à remplir éternellement un tonneau percé. 
Thème semblable au rocher de Sisyphe, ou au foie de Prométhée, qui caractérise une tâche sans fin. L'éternité peut être douloureuse !




* Ce que l'on nomme tonneau était en fait une jarre imposante, comme cela se faisait à cette époque en Grèce. Le moût de raisin pressé était stocké dans les pithoi pour y fermenter. On recueillait les débris de fermentation à son embouchure, puis on le fermait jusqu'à la fin de l'hiver. Telle était la fonction du pithos. C'est ainsi que, au cours des siècles, l'esprit l'emporta sur la lettre, et pour nous la jarre devint tonneau ! Toutefois, les plus anciennes traces iconographiques de tonneaux cerclés de métal proviennent en fait d'Étrurie au sixième siècle avant notre ère. (l'hypothèse de la paternité celte du tonneau est aussi évoquée).

03 septembre 2012

Ahizpak à Biarritz


A l’image des trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, les trois sœurs Arangoïts se comptent désormais par quatre : Yenofa, Delphine, Nanou et Cécile. Que vous dire de ces sacrés personnages toujours présents dans leur belle adresse du cœur de Biarritz dont les cuisines sont aux mains de Yenofa ? Quel joli nom pour une Chef, discrète et retenue, dont les trois sœurs, à l’accueil, au comptoir ou en salle, sont les parfaites ambassadrices. Dans sa tenue d’un blanc immaculé, Yenofa concocte une cuisine personnelle dont chaque plat témoigne de son travail auprès des plus grands chefs de la région, des frères Ibarboure à Michel Guérard, en passant par l’Hôtel du Palais. Joliment limpide, sa cuisine conjugue justesse d’exécution et subtilité des saveurs. Sans la moindre fausse note elle compose selon les saisons et son retour du marché une carte gourmande que ses sœurs content avec naturel et enthousiasme, de la crème d’asperge à la fondue aux lentilles et joue de cochon, du paleron de bœuf en parmentier aux simples sardines ou à la "bisque-bouille" de merlu de ligne et sa fondue de poireau, sans oublier le navarin printanier et le dessert d’anthologie qu’est la crêpe en soufflé à l’orange. 
Les familles qui se retrouvent dans ce lieu de culte avec la même dévotion et le même recueillement que des pèlerins en route pour Compostelle étouffent leurs conversations futiles dès que l’une ou l’autre des sœurs apporte leurs commandes ! Que dire d’autres ? Sinon que Yenofa, cuisinière d’instinct, cuisine simplement "comme à la maison" de simples plats basés sur les produits de sa région qu’elle connaît par cœur. Peut-être trouverez-vous que je me répète en employant, deux ou trois fois, les mots simples et simplement. C’est parce que je pense, tout simplement, que la réussite de cette adresse tient à cette simplicité. Tout simplement.


Ahizpak
Tél. 05 59 22 09 26