La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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19 mars 2012

Pomarez 1er Roi de Chalosse


Au cœur d’un plateau de fromages des Landes trône en toute simplicité sa Majesté Pomarez 1er, succulent fromage crémeux à pâte molle qui se déguste frais ou affiné…

Fils d’un fromager du Doubs, Jean-François Rieme nage dans le Comté depuis sa plus tendre enfance : après avoir grandi sur les hauts plateaux du Jura où est installée la fromagerie familiale, il quitte Morteau et sa saucisse pour s’en aller dans les alpages suisses assouvir un rêve de gosse.  Il dit adieu aux Montbéliardes et passe deux ans en tête à cornes avec des Simmental et des Hérens qui dinguedongent gaiement dans les vertes prairies helvétiques.
Lorsqu’il redescend, il se met en quête d’une petite fromagerie, quelque part en France : la fréquentation des sommets et la liberté qui souffle là-haut lui ont donné des envies d’indépendance, mais sa vie doit se dérouler - il en est certain - entre cuves en cuivre et caillebotte. Son choix se porte - un peu par hasard, il l’avoue - sur la Laiterie de Chalosse, installée à Pomarez (prononcez le z, mais considérez-le comme un s) : le voici Landais. Il se fixe un objectif : produire assez de fromages pour pouvoir présenter tout un plateau composé de pâtes molles, de pâtes pressées, de fromages plus ou moins affinés et de fromages frais.
Onze ans ont passé. Landais, il l’est toujours (au point de préférer maintenant le Jurançon au savagnin !), et son plateau de fromages est une réalité. Il ne s’est même pas rabiboché avec les Montbéliardes : le lait de ses fromages - qu’il va lui-même collecter, trois fois par semaine, avec sa citerne - provient exclusivement de deux fermes des alentours, et elles n’élèvent que de blanches et noires Holstein.

En toute Majesté
Sa plus belle création est sans conteste le Pomarez, qui se déguste frais ou affiné (après deux semaines de repos offertes par la maison dans le calme du hâloir, où Arthur s’occupe bien de lui : il est frotté, massé, retourné, surveillé). Sans conteste, mais pas sans concurrence : l’excellent Petit Landais - affiné jusqu’à huit semaines : on le dit alors très affiné - se verrait bien calife à la place du calife (il est au trône un sérieux prétendant). Le Petit Landais est une très goûteuse pâte pressée non cuite (comme la Tomme de Chalosse) qui existe - je prie Saint Nectaire pour que me soit pardonné ce laitier raccourci - en version non affinée : il s’appelle alors Chalossais et sa mission - s’il l’accepte - est de remplacer la mozzarella partout où elle trouve sa place. Si vous voulez lui faire plaisir (et vous régaler), invitez-le dans vos salades de tomates ou de fraises (rehaussées de basilic) et dans vos salades de melon (préférez la roquette et rehaussez de poivre noir), allongez-le sur vos pizzas, introduisez-le dans vos quiches, toastez-le en croque-monsieur, mariez-le en bouchée avec du jambon : de ce Chalossais-là, vous pouvez faire ce que vous voulez ! Pourquoi d’ailleurs tant qu’on y est ne pas le gratiner, le paner ou le frire ?

Régal d’ici
Le Pomarez est un fromage à pâte molle qui se déguste affiné, arrosé d’un petit blanc sec (on ne dira jamais assez combien les tanins du rouge tuent les arômes des fromages). On trouve dans le commerce (et localement dans la grande distribution) des petits Pomarez affinés, conditionnés dans leur boîte ronde et ornés du rouge logo de la laiterie (parés aussi de l’étiquette qui proclame fièrement Fromage des Landes), et des grands à la découpe en fromagerie, ou sur les marchés. Quelques grossistes l’emmènent jusqu’à Pau ou Toulouse…
Le Pomarez frais, baignant dans son petit-lait, est vendu dans son petit sac : c’est par lui que tout a commencé, il y a fort longtemps, quand on laissait, dans les fermes, cailler au frais le surplus de lait chaud pour préparer un moit-moit (un frais très peu affiné). En contemplant avec amour son Pomarez, Jean-François Rieme reconnaît que les fromagers - même les plus talentueux - manquent parfois d’imagination : leurs fromages portent souvent le nom du village - de la vallée ou du sommet - qui les a vus naître ou - comme le camembert né à Vimoutiers dans l’Orne - qui a vu se développer leur production. Il a néanmoins fait preuve d’imagination en baptisant Régal des Landes son petit fromage frais qui se déguste sucré (façon Petit Suisse) ou salé avec ail et ciboulette : lui, il l’agrémente plutôt de figues et de fruits secs, ou il le poêle avec des champignons…

Texte & photos : Pierre Brice Lebrun pour La Gazette Gourmande

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