La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


Rechercher dans ce blog

30 juin 2011

Ekia, le soleil de la Soule

Quand vous ouvrez un pot de yaourt - digne de ce nom - la magie opère immédiatement. Sa blancheur immaculée vous emmène dans les immenses prairies où fleurissent pâquerettes et pissenlits. L'odeur du lait vous monte aux narines et vous imaginez une étable, de la paille, un petit tabouret sur lequel est assise la fermière pétrissant d'un geste précis les pis d'une vache. Une sensation de fraîcheur s'empare de votre bouche avant que l'amertume du lait fermenté vous rappelle que les "barbares" - selon Pline l'Ancien - savaient «épaissir le lait en une matière d'une agréable acidité».
L'origine du yaourt - tel qu'on le connaît actuellement - serait situé en Asie centrale. Arrivé en Europe par le Bosphore, il tient son nom du mot turc "yogurmark" qui signifie pétrir, épaissir. C'est au XVIe siècle que le yaourt fait sa première apparition en France. François Ier avait appris l'existence d'un laitage mystérieux et fit venir un médecin turc avec ses brebis pour le guérir d'une infection intestinale. Plus de trois cents ans plus tard, Metchnikoff, bactériologiste ukrainien vivant à Paris et Prix Nobel de Médecine en 1908, découvre les effets positifs sur les désordres intestinaux des nourrissons en s'interrogeant sur le lien attribuant au yaourt la longévité des montagnards du Caucase et des Balkans.
Ce n'est pas dans un but thérapeutique mais dans un respect total de la nature que Hubert Candelé a décidé de fabriquer ses yaourts. Il s'est associé à trois agriculteurs certifiés HVE (haute valeur environnementale) situés à Bardos, Hasparren et La Bastide-Clairence pour lui fournir la matière première, le lait. Il a ensuite sélectionné les ferments naturels pour obtenir un yaourt onctueux et goûteux. Son processus de fabrication bien rôdé ; pasteurisation, refroidissement et aromatisation éventuelle, fermentation, conditionnement dans des pots en carton recyclable et étuvage, il peut enfin faire déguster ses yaourts à des professionnels du pays basque. Quelques mises au point plus tard, il commercialise son premier pot le 2 mars 2011. Depuis, il fournit une quinzaine de collectivités de la région (cantines scolaires et autres) avec un certain succès auprès des enfants.
Regroupée sous deux appellations, Ekia ("soleil" en souletin) pour les crèmeries et restaurants et Ibaski (contraction de Ibaia, "rivière" et Saski, "panier") pour la grande distribution et les collectivités, la gamme se compose de yaourts étuvés natures, sucrés ou vanillés et de yaourts brassés aux fruits. Une version au lait de brebis - respectant le cahier des charges de l’AOC du fromage au lait cru - est aussi proposée.

Que vous soyez nostalgique des saveurs du lait de votre enfance ou curieux de découvrir le goût sauvage des plaines d'Asie centrale, ouvrez un pot de yaourt : le voyage est garanti.

Bastidarra
Zone d'Activités Etxecolu - 64520 Bardos

21 juin 2011

La Grande Chartreuse

«Il est une liqueur célèbre depuis assez longtemps déjà composée par les chartreux elle est agréable et fort chère, les chartreux sont moins célèbres aujourd'hui par leurs austérités que par la Chartreuse verte ou jaune».
 "Les Dents du Dragon" Alphonse Karr - 1869


A l’époque où les moines et les apothicaires étaient pratiquement les seuls à posséder les connaissances nécessaires au travail des plantes,  le Maréchal d’Estrées - frère de  Gabrielle d’Estrées, Maîtresse d’Henri IV, «la "presque reine" dont l’extrême beauté ne sentait rien de lascif» (Agrippa d’Aubigné) - remit aux Moines parisiens de la Chartreuse de Vauvert un manuscrit décrivant un "Elixir de Longue Vie" dont on ignore encore l’origine. Réputée pour ses bienfaits - dans une lettre de 1611, le Cardinal de Richelieu remercie avec chaleur le Prieur de cette Chartreuse de lui avoir adressé cette «médecine» qui le soulagea «d’une fâcheuse maladie» - cette préparation particulièrement compliquée à élaborer comprend «plus de 130 éléments dont de nombreuses plantes macérées dans de l’eau de vie de vin ayant subi moult opérations lui enlevant toute âcreté». Fabriqué confidentiellement dans l’abbaye de Vauvert durant quelques décennies, "l’Elixir de Longue Vie" sortit de l’anonymat en 1737 lorsque le Frère Jérôme Maubec, apothicaire du Monastère de la Grande Chartreuse, en reformula la recette originale pour fixer définitivement celle de "l'Elixir Végétal de la Grande Chartreuse" titrant 71°. Sa commercialisation est alors limitée aux marchés de Grenoble et de Chambéry où le Frère Charles va les vendre à dos de mulet. Quelques années plus tard, en 1764, une nouvelle préparation sera mise au point par les Moines et  commercialisée dans la région dauphinoise sous le nom de "Chartreuse Verte" dite "Liqueur de Santé", Titrant 55°. En 1789, le précieux manuscrit de la recette originale de la liqueur les moines, dispersés par la Révolution, est confié à l’un des leurs tandis que le seul religieux autorisé à rester au Monastère en conserve une copie. Arrêté puis envoyé à Bordeaux, celui-ci réussit à la faire passer hors de sa cellule et à la transmettre à un autre moine réfugié près du Monastère. Ne pouvant pas en faire usage et pensant que l'Ordre des Chartreux ne serait jamais rétabli, il en concède une copie à un pharmacien de Grenoble, Monsieur Liotard. En 1810, une ordonnance de Napoléon Ier demande que les «remèdes secrets» soient soumis au Ministre de l'Intérieur pour être examinés afin d'être exploités par l'Etat. En bon citoyen, Monsieur Liotard adresse le manuscrit portant la recette de "l’Elixir Végétal de la Grande Chartreuse" au Ministère concerné qui le lui retourne sans tarder avec la mention : «Refusé». «Gardien» du secret des moines, Monsieur Liotard demanda que celui-ci leur fut rendu après que ces derniers aient été autorisés à regagner le Monastère de la Grande Chartreuse en 1816. Vingt deux années plus tard, la formule est adaptée pour produire une liqueur plus douce et moins alcoolisée, la Chartreuse Jaune, titrant 40°. 
En 1905, à la suite de la promulgation de la loi sur la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, les Chartreux sont expulsés de France et emportent leur secret en Espagne où ils implanteront une distillerie à Tarragone avant de revenir s’installer en 1921 à Marseille où ils fabriqueront durant huit ans une liqueur du nom de "Tarragone", le nom de "Grande Chartreuse" ayant été vendu par l’Etat Français à un groupe de liquoriste qui cessa ses activités en 1929. Retrouvant l’usage de l’appellation "Chartreuse", les moines reprennent la distillation dans leur ancienne distillerie proche du Monastère de la Grande Chartreuse, jusqu’en 1935, date à laquelle la fabrication est transférée à Voiron, où elle est toujours réalisée, après le travail de sélection des 130 plantes effectué encore et toujours à l’intérieur du Monastère par les Pères Chartreux, investis de cette mission par leur Ordre, pour travailler dans le plus grand secret à l’élaboration d’une liqueur dont la formule reste un mystère.


«Il existe une autre liqueur, liqueur de table, liqueur hygiénique, médicament même dans une foule de cas, composée elle aussi de plantes aromatiques à propriétés excitantes dans lesquelles il est juste de dire que l'absinthe n'entre pas, ayant elle aussi pour véhicule des alcools à un degré de concentration tout aussi élevé que ceux qui entrent dans la composition de l'absinthe. Nous voulons parler de la chartreuse. Tout le monde sait que cette liqueur est un stomachique puissant et agréable qu'elle active les digestions pénibles et laborieuses mais tout le monde sait aussi que l'ivresse est prompte à venir lorsqu'on en abuse. Chose remarquable, l'ivresse se montre d'autant plus promptement que la Chartreuse est mêlée à l'eau».
 "Revue de thérapeutique médico-chirurgicale" par le Dr A. Martin-Lauzer - 1863

Merci à Samuel Vidal pour sa collection de photos.

06 juin 2011

Au Pays des Basques, le chocolat se déguste et se raconte

Si la légende rapporte que le dieu aztèque Quetzalcoatl vola le cacaoyer aux fils du soleil pour le donner aux hommes, l’histoire veut que ce soit Cortès qui introduisit le "chocoatle" dont le nom viendrait des mots mexicains : choco, bruit, et atle, eau, parce que les mexicains le battent dans l’eau pour le faire mousser - en Espagne lorsqu’il offrit les fèves de cacao à Charles Quint à son retour du Mexique en 1520. Devenu "d’origine espagnole" le chocolat franchit les Pyrénées avec l’arrivée des juifs espagnols et portugais venus s’installer dans le "port déclaré ouvert" de Bayonne où, grâce à leur savoir-faire, ils créèrent les premières fabriques de Chocolat lorsque l’inquisition les contraignit à fuir le royaume d’Espagne.


C’est dans le cadre antique de ce passionnant Musée de la confiserie abritant des pierres à broyer les fèves, des meules, des machines à battre les œufs, des moules à bonbons, des chocolatières, des tasses... que vous sera dévoilée l'histoire passionnante de la confiserie. On y apprend que ce sont des fabricants de bougie du XVe siècle qui l’inventèrent en associant le miel des ruches - dont ils prélevaient la cire - avec des amandes ou des fruits pour mieux les conserver. Lorsqu’ils découvrirent les premières fèves de cacao, ils les marièrent au miel puis au sucre pour créer des chocolats dont une pâtisserie attenante au musée propose quelques succulentes merveilles. Ville aux abords peu accueillants, Tolosa dégage une atmosphère de ville gourmande sitôt que l’on parcourt les rues piétonnes de la vieille ville où les commerces de bouche - boucherie, pâtisserie, primeurs... - semblent avoir toujours été là. C’est à l’occasion de son passage à Tolosa, lors de son voyage de Cadix à Paris, que Alexandre Dumas Père s’arrêta sur la place où se trouve la boutique Gorrotxategi pour y déguster un chocolat : «Nous touchâmes du bout des lèvres au chocolat, craignant de voir s’envoler, comme tant d’autres, cette illusion du chocolat espagnol avec lequel on a bercé notre enfance. Mais, cette fois, notre crainte fut vite dissipée. Le chocolat était excellent. Malheureusement, il y en avait juste assez pour le goûter».


L'Atelier du Chocolat à Bayonne
Adresse gourmando-pédagogique, l’Atelier du Chocolat est un concentré remarquable de tout ce qu’il faut savoir sur le chocolat, du cacaoyer au produit final : la récolte des cabosses, le tri des fèves, la fermentation, le séchage... beaucoup d'explications très didactiques et quelques machines anciennes dont un "metate" - pierre en forme de chaise pour broyer les fèves avec un "mano" - trouvé dans la région. Tout au long de la visite on peut suivre le travail des chocolatiers préparant les spécialités de la maison dans les pièces du laboratoire tandis que de nombreux écrans diffusent les étapes de fabrication des gourmandises et que des effluves de chocolats nous titillent les narines, heureux préambule à la dégustation de chocolats et autres spécialités de l'Atelier du chocolat issus de cacao de différents pays.



L’immense collection personnelle de chocolatières et de tasses, toutes plus originales les unes que les autres, qui est le fonds muséographique de cette belle adresse, se conjugue tous les six mois avec des collections tournant autour du chocolat du Pays Basque ou d’Europe, où l’on retrouve beaucoup d'objets s’y rattachant comme des boites ou d’anciens emballages, ainsi que des machines trouvées dans le pays basque.







Membre de l’Académie Française du Chocolat. Serge Couzigou est un personnage atypique qui ne manque pas de piquant. Conteur passionné par son art il disserte avec autant d’aisance sur la torréfaction, étape essentielle pour exalter les qualités aromatiques du cacao, que sur le broyage qui permet d’obtenir la finesse et le fondant ou le conchage qui développe les richesses aromatiques du chocolat. Fouineur impénitent, cela fait des années qu’il court les brocantes et vide greniers à la recherche de l’objet qui lui manque - si tant est qu’il lui en manque un lorsque l’on connaît sa collection ! - de la simple boite de chocolat, aux images du passé, des machines anciennes aux enseignes et autres objets rares…