La Cuisine est un Art

Lorsque l’on parle d’art, on cite toujours un écrivain, un musicien ou un peintre dont la mission est de créer un univers illusoire, un paradis artificiel pour nous consoler d’une réalité qui serait absurde. La mission d’un cuisinier est tout autre : en créant un univers qui n’a rien d’illusoire, un paradis qui n’a rien d’artificiel, il nous rapproche d’un Dieu dont je ne sais si tel ou tel chef y croit mais dont je suis certain qu’ils ne le rejettent pas. Et si un grand repas c’est du rêve, de l’illusion et des idées, c’est aussi l’univers des choses les plus simples auxquelles le génie du chef ajoute celui des choses invisibles. Certains cuisiniers nous donnent accès à cette réalité, ils nous la font percevoir dans son évidence concrète parce qu’ils sont, tout simplement des artistes.

Bernard Carrère.


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07 mars 2011

Le Gâteau des Rois, de Tacite aux Etchebaster


Même si Tacite prétend que, dans l’Antiquité, «il était d’usage de tirer au sort la royauté lors d’un festin consacré à Saturne», l’Histoire avec un grand "H" du gâteau emblématique de l’Epiphanie synonyme de «tirer les rois» semble des plus floues. Aussi puissant qu’éphémère, ce tirage antique ne conférait ses pouvoirs au roi que de l’entrée au dessert, instant où il était détrôné pendant que l’on desservait la table ! Selon une autre légende tout aussi ancienne, c’est au plus jeune des enfants, surnommé Phoebée ou Apollon, que l’on confiait la distribution des parts du gâteau soigneusement dissimulées dans une serviette. Caché sous une table, l’enfant était alors interrogé : «Pour qui, cette part ?»  «Pour Dieu !» répondait-il ! La Sainte Vierge venait en second, immédiatement suivie par le premier Roi Mage… alors que, en réalité, les parts de gâteau étaient distribuées aux pauvres qui chantaient dans la rue :
«Monsieur de Céans et Madame aussi,
Donnez de vos biens à ce pauvre-ci.
La part à Dieu, ma bonne Dame, je vous prie !»
Ce privilège traditionnel du jeune âge valut au Cardinal de Fleury, âgé de quatre-vingt-dix ans, d’être la bienheureuse victime d’une spirituelle flatterie de son valet de chambre le jour des rois où, ayant convié à sa table quelques convives plus âgés que lui, il dut remplir les fonctions ordinairement attribuées à l’enfance, ce qui le surprit fort agréablement.
Alexandre Dumas, grand gastronome devant l’éternel, énonce dans son «Grand Dictionnaire de Cuisine» que «le plus renommé de tous les gâteaux est le gâteau des Rois, espèce de galette dans laquelle on met une fève». Depuis que cette patriarcale tradition est devenue universelle la plupart des familles se réunissent le jour de l’Epiphanie pour tirer les Rois en chargeant la personne la plus jeune de distribuer les parts du gâteau non sans avoir fait en sorte que la fève lui revienne pour être proclamé Roi.
Authentique Roi de France, Louis III de Bourbon avait la charitable habitude de sacrer «Roi de la Fève» un enfant pauvre qu’il faisait servir par ses laquais et qu’il dotait ensuite généreusement. Au Moyen-Âge, époque de longues et pesantes périodes de solitude dans les châteaux et manoirs, la moindre visite d’un hôte de marque donnait l’occasion de réjouissances au cours desquelles le «gastel à fève» était servi pour célébrer son passage. De son côté, Louis XIV ne dédaignait pas de «tirer les rois» en organisant de petites fêtes contées par Madame de Motteville : 
«Ce soir, la Reine nous fit l’honneur de nous apporter un gâteau que nous séparâmes avec elle. Nous bûmes à sa santé avec de l’hypocras qu’elle nous fit apporter en criant : La Reine boit ! Vive le Roi !»
Avec le temps, la fête des Rois se démocratisa sous la Convention en devenant «la fête des Sans Culottes» ce qui n’empêcha pas le Maire de Paris de dénoncer «les intentions liberticides des pâtissiers qui se permettent de fabriquer et de vendre encore des gâteaux des Rois…» et de décréter qu’il faudra «découvrir et suspendre les pâtissiers délinquants et les orgies dans lesquelles on oserait fêter les ombres des tyrans !» Malgré la disette que connut la capitale pendant le siège de Paris, les pâtissiers permirent aux assiégés de fêter les Rois en créant une galette à la graisse dont le seul mérite était de contenir un haricot ou une fève. Cette tradition de l’authentique fève s’estompa avec l’apparition des poupons ou des sabots de porcelaine qu’un boulanger dont on ignore le nom choisit d’introduire dans ses gâteaux pour l’épiphanie de janvier 1874.

A Saint-Jean-de-Luz, les frères Etchebaster, Robert et Philippe, dont la famille est installée dans la même maison depuis quatre générations peuvent affirmer sans crainte de se tromper que leur remarquable gâteau des rois fut créé par l’une de leurs Amatxi, Catherine Etchebaster,  pour fêter l’épiphanie du 6 janvier 1909. C’est également à leur arrière-grand-mère qu’ils doivent la recette de leur parfait gâteau basque dont Philippe assure que «chaque famille a sa recette, plus ou moins secrète, toujours à base de crème ou de cerises, mais jamais au chocolat ! - Peut-on parler de gâteau basque dans ces conditions ?» 

Autres spécialités de cette belle adresse de la rue Gambetta, le Saint-Honoré et le pain de mie sans oublier, côté salé, la tarte basquaise.

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